Carnet de visite par Mario Urbanet, exposition "Noir Acier" 2015
trafic à la Tati
enfermement collectif
chacun dans sa bulle et l’animosité en partage
blocage d’une société qui n’en peut plus
dévoiement de l’âge du fer
de futures épaves
tôle et plastique en un conglomérat
gorgé de pétrole
les pilleurs de la planète allient
dépouillement et pollution
misant sur l’instinct grégaire
de ces migrants de proximité
qui imitent les ascenseurs en de ternes va-et-vient
à tout moment peut surgir un Mastroianni
en un sursaut de lucidité
comme dans le huit et demi de Fellini
quittant cette illusoire coque protectrice
du narcissisme ordinaire pour s’émanciper
l’auto-culte choisie entre toutes
est banale dans ce conglomérat émail et chrome
comptabilisée en flux horaires
en kilomètres de bouchons
objet statistique voué au mieux
à la compression d’un César
au pire à être démembrée dans une casse
pour la gloire du cercle infernal
de la croissance-croyance
l’esprit reclus dans cet habitacle
saturé de sons numérisés
de musique formatée
d’infos pré-fantasmant l’évènement
le menti-démenti constant
pour forger une opinion stéréotypée
l’esprit s’asphyxie avec délice
dans ce confort factice
et la jouissance égoïste
d’un partage savamment orchestré
pour cette meute
d’explorateurs virtuels
l’esprit parfois lutte encore
pour saisir le sens de la vie
scène étrange
figurant l’effacement programmé
du flux de circulation
où s’écoule notre quotidien
il n’y subsiste que le trait
lignes de couleurs
faisant place
imperceptiblement au blanc
celui de la lueur première
puisse-elle guider le bon sens
des esprits encore éveillés
vers un nouveau siècle des lumières
à Paris Bruxelles ou Rome
sur le périph le ronde ou la tengenziale
au crépuscule le ciel se la joue en technicolor
des conducteurs équipollents s’épient
dans un désir irrépressible de dépasser l’autre
pour découvrir qui ouvre la marche
de ce caravansérail sans queue ni tête
sur les toits d’immeubles sans âme
des mots intrigants s’affichent
akaïsikobrandthyundainokia
prégnants sur des esprits fourbus
générique d’un film où nous
simples figurants ne figurons pas
tandis qu’au paradis fiscal
des chiffres très discrets veillent
sur des coffres immobiles
des tubes gigantesques
d’une beauté étrange
pères nourriciers de notre locomotion
obscurcissent pourtant le ciel
crachant leur gaz venimeux
à l’égal des pots d’échappement
nourris de ces complexes pétrochimiques
usage sans discernement
d’un bien commun accumulé
par le patient vieillissement de la planète
l’humanoïde deviendra-t-il casanier
quand l’ultime baril sera extrait
la roue à dents mord dans le temps imparti
les parques veilleront à couper le fil
à l’heure dite
les bobines se dévident
de vies vides de sens
celles des démobilisés de l’industrie
fondeurs devenus scories
ébarbeurs devenus rebuts
ajusteurs bradés au plus juste mépris
la sidérurgie
décentralisée vers des régions
low coste (à coups bas)
n’est plus que mémoire sidérale
dans le cœur d’acier
de quelques radoteurs aux mains d’or
d’autres chiffres
mesurent le tonnage produit
du matériau né du feu
transformateur de la matière brute
le minerai
aliment des fours martin
des beaux matins
quand le travail tenait aux mains
quand la coulée allumait de braise
l’œil du sidérurgiste
gueules ouvertes sur l’enfer
promis à l’ouvrier dépourvu d’ouvrage
au savoir-faire devenu inutile
du sidérurgiste renvoyé sine die
symboles de la toute-puissance
l’acier et la fonte
l’usure du temps les colorie
d’une teinte de feuille morte
signe de l’obsolescence
fin de saison
annonciatrice d’un hiver long et implacable
période où seul l’espoir
sera garant d’une renaissance au ciel carmin
siffleront alors les merles moqueurs
saluant une coulée fertile
d’un nouvel airain